Cover
Titel
Fremdsein im Krieg. Die Schweiz als Ausgangs- und Zielort von Migration, 1914–1918


Autor(en)
Huber, Anja
Reihe
Die Schweiz im Ersten Weltkrieg 2
Erschienen
Zürich 2018: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
336 S.
Preis
€ 58,00
URL
von
Tiphaine Robert

Tiré d’une thèse de doctorat intégrée au projet FNS Synergia La Suisse pendant la Première Guerre mondiale: perspectives transnationales sur un petit État dans une guerre totale, l’ouvrage d’Anja Huber retrace l’histoire des migrations liées à la Grande Guerre et leurs enjeux dans le cas helvétique.

La question de l’immigration en Suisse dans le contexte de la Grande Guerre n’est pas inédite dans l’historiographie. Les historien·ne·s tels que Gérald et Silvia Arlettaz ont mis en évidence le tournant que le conflit représente dans l’histoire de la politique
migratoire suisse. Que propose donc Anja Huber de nouveau? L’historienne adopte une double perspective: la prise en compte de l’immigration en Suisse et de l’émigration de Suisse et c’est là que réside l’originalité de sa démarche. En outre, l’histoire de la présence suisse à l’étranger au XX e siècle est encore peu travaillée.

La question de recherche d’Anja Huber se déploie en deux volets (p. 15). D’abord, l’auteure s’intéresse à la manière dont les mouvements migratoires ont été modifiés, dans le cas helvétique, en fonction de la guerre. Ensuite, il s’agit de comprendre comment les autorités – au niveau cantonal et fédéral, en incluant les autorités représentant la Suisse à l’étranger – ont réagi face à ces mouvements migratoires. L’auteure s’appuie sur un large corpus de sources, presque exclusivement institutionnelles. Elle justifie brièvement sa démarche «en miroir», en arguant que la guerre constitue un tournant pour l’histoire à la fois de l’immigration et de l’émigration, raison pour laquelle il est opportun d’étudier les deux aspects ensemble (p. 12). L’auteure aura l’occasion de révéler l’intérêt de cette double perspective – et en creux, ses limites: deux histoires régies par des enjeux et des acteurs trop distincts pour être traités conjointement. L’auteure s’appuie principalement sur le concept de l’autonomie des migrations développé par Yann Moulier-Boutang. Ce choix permet, d’une part, de laisser de côté le concept push-pull (p. 34), réduisant les personnes à des sortes d’aimants attirés ou repoussés selon la conjoncture, et d’autre part, d’inviter à penser les migrations sans les opposer à la norme que serait forcément la sédentarité (p. 37). La migration ne doit pas être étudiée comme problème que les États régulent mais comme force autonome face à laquelle les autorités réagissent.

Les frontières sont au cœur de la recherche d’Anja Huber. Elles occupent l’ouverture contextuelle du livre (chap. 3) traitant des migrations avant guerre: les manières d’aborder l’immigration changent au gré des contextes et des agendas politiques. En témoigne l’idée de la Commission des Neufs à l’aube du XX e siècle visant à naturaliser plus facilement les étrangers pour mieux les intégrer dans la société suisse. Une idée tombée aux oubliettes. C’est aussi les frontières, cette fois-ci théoriques et terminologiques, qui structurent la suite de l’ouvrage: des frontières entre les catégories de migrant·e·s qu’a dû tracer Anja Huber pour les besoins de son approche thématique en séparant les migrations en trois groupes (migration de travail, militaire, forcée) qui correspondent chacun à un chapitre, deux dans le cas de la migration forcée.

La première catégorie est celle de la migration de travail (chap. 4). L’auteure l’éclaire à la lumière de la politique migratoire suisse orientée vers certains intérêts: rationaliser le contrôle de l’immigration tout en permettant à l’industrie de recruter des étranger·e·s là où la main d’œuvre manque. L’auteure démontre l’importance des lobbys (patronat, syndicats, hôteliers, etc.), véritables leviers politiques pendant la Première Guerre mondiale. Les discours anti-étrangers influencent eux aussi en partie l’action des autorités toujours plus enclines à limiter le nombre de résident·e·s étranger·e·s. Concernant la présence des Suisse·sse·s dans les États belligérants, l’auteure s’attarde particulièrement sur la Grande-Bretagne et ses colonies, où résident près de 16 000 Suisses au début de la guerre, et détaille un phénomène récurrent: les difficultés et chicanes administratives rencontrées par les Suisse·sse·s aux noms à consonance germanique. Certain·e·s perdent leur travail, pour cause de préférence nationale, mais aussi du fait de leur sympathie réelle ou présumée pour les Empires centraux. Les diplomates helvétiques ne cherchent que rarement à défendre les intérêts de leurs ressortissant·e·s pour cause de neutralité: ils ne doivent vexer aucun belligérant.

La deuxième catégorie, la migration militaire, comprend les déserteurs et réfractaires restés ou ayant rejoint la Suisse et les citoyens suisses rappelés en terres helvétiques pour garder les frontières (chap. 5). En 1917, quelque 10 000 déserteurs et réfractaires, tendanciellement à gauche sur l’échiquier politique, se trouvent en Suisse. La méfiance que leur présence suscite – la création de la Police des étrangers en 1917 y est directement liée – a déjà été passablement étudiée. La question des hommes suisses mobilisables à l’étranger est moins connue. On dénombre environ 25 000 Suisse·sse·s rapatrié·e·s au début de la guerre, la plupart étant des hommes en âge de servir. Les autorités ne sont pas toujours enclines à payer les voyages et surtout à subvenir aux besoins des familles de ces derniers. Certains hommes restent donc à l’étranger et évitent ainsi de devoir servir.

La dernière catégorie, celle de la migration forcée, se déploie en deux chapitres, l’un (chap. 6) comprenant le pan du refuge et de la protection, l’autre (chap. 7) le pan des mesures des autorités de l’internement à l’expulsion. L’auteure met en évidence les différences entre les réfugié·e·s indésirables (celles et ceux qui arrivent en groupe, ont besoin d’assistance et/ou qui mènent une activité politique) et les réfugié·e·s bienvenu·e·s (celles et ceux qui arrivent en Suisse seul·e·s, ont des moyens et/ou passent inaperçu·e·s). Des artistes et groupes politiques en exil trouvent en Suisse une plateforme de réseautage et de diffusion. Une installation favorisée par différents facteurs: tradition d’asile, liberté de la presse, mais aussi appareil de police politique défaillant. Les Helvètes dans le collimateur des pays belligérants sont d’un tout autre acabit. Il s’agit principalement de religieux accusés de sympathie pour le Reich, à l’instar des membres de la Mission de Bâle présente surtout dans des colonies britanniques. Le problème des civils suisses à l’étranger est toujours le même: ils sont régulièrement associés à l’ennemi.

Le dernier chapitre (chap. 7) est consacré aux mesures de rétorsion des étranger·e·s en Suisse et des Suisse·sse·s à l’étranger. Outre le cas des internements de militaires, l’auteure évoque d’autres types de mesures comme les expulsions, notamment des Russes bolcheviques. Quelques centaines de Suisse·sse·s de l’étranger ont également été touchées par des expulsions. Dans les pays de l’Entente, on justifie ces mesures par leur sympathie ou des activités commerciales avec l’ennemi. Mais la guerre apparait souvent comme un prétexte employé par les autorités pour se débarrasser d’étranger·e·s dans le besoin, veuves, chômeurs ou personnes âgées. L’attitude des autorités consulaires à leur égard varie entre préoccupation et indifférence.

Une courte conclusion résume les principaux résultats. En définitive, l’histoire de la migration pendant la Première Guerre mondiale révèle le régime différentiel entre, d’un côté, les migrant·e·s riches avec réseau et, de l’autre côté, les migrant·e·s pauvres sans réseau. Ce constat s’applique également aux Suisse·sse·s de l’étranger. Les moyens mis en œuvre en faveur des Suisse·sse·s rapatrié·e·s de Russie en cours de soviétisation en sont un bon exemple.

C’est cette différence de traitement qui, à notre sens, donne de l’intérêt à la recherche d’Huber. L’historienne montre l’impact que peuvent avoir certains acteurs sur les décisions des autorités entre serrement de vis et, au contraire, laxisme envers certains groupes. Elle décrypte avec finesse le rôle des lobbys dans le traitement de faveur de certains étrangers, à l’instar des hôteliers, insistant auprès des autorités suisses de ne pas chicaner les clients, pour lesquels il serait «humiliant» de dévoiler le contenu de leur porte-monnaie afin de rejoindre la Suisse (p. 161). Si pour une migration réussie et selon l’adage russe «il vaut mieux cent amis que cent roubles», pour une destination telle que la Suisse, il semble qu’il faut plutôt cent amis et cent roubles.

On regrette de n’en savoir pas plus sur les premier·e·s intéressé·e·s. Certes l’auteure avait d’emblée concédé que le vécu des migrant·e·s ne sera que rarement pris en considération. Il n’empêche que l’auteure aurait pu détailler quelques parcours migratoires pour que le/la lecteur·trice saisisse mieux l’impact des régimes de migration sur les personnes. En ce sens, le titre «Fremdsein im Krieg» n’annonce pas tout à fait le contenu. En faisant l’histoire des migrations, les historien·ne·s se heurtent souvent à un problème: traiter des catégorisations sans en faire soi-même, traiter des frontières sans en créer. Huber a dû, pour les besoins de son analyse, articuler ses chapitres sur des catégories dont les frontières – toujours elles – sont floues ou mouvantes. L’auteure concède elle-même les problèmes inhérents à ce choix: outre le caractère construit de ces catégories, de nombreux cas sont précisément entre deux. Les ouvriers italiens restés en Suisses au moment de la mobilisation italienne appartiennent à la fois à la migration de travail et à la migration militaire. En plus du risque de les renforcer dans l’esprit des lecteurs et lectrices, ces catégorisations peuvent perturber la cohérence. Où évoquer par exemple la question du manque de représentation diplomatique suisse dans certains pays? Cet aspect concerne aussi bien la migration dite de travail, militaire que forcée.

Malgré ces quelques réserves, cette solide recherche complète admirablement l’historiographie suisse de la migration pendant la Grande Guerre. Elle s’appuie sur une excellente analyse de sources, livrée dans une rédaction fluide. L’ouvrage offre une réflexion intéressante et actuelle sur la permanence des régimes différentiels envers les migrant·e·s, en fonction de leur origine, leurs qualifications ou encore leur porte-monnaie.

Zitierweise:
Tiphaine, Robert: Rezension zu: Huber, Anja: Fremdsein im Krieg: die Schweiz als Ausgangs- und Zielort von Migration: 1914–1918, Zürich 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (1), 2020, S. 150-153. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00054>.

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